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Plumes et pinceaux, BMJD
25 avril 2020

Le toubib, Bernard DELZONS

Le toubib :

 

Voilà cinq semaines que j’ai fait la connaissance du juge. Il m’a rendu beaucoup de services et je lui en suis reconnaissant. Mais depuis que j’habite chez lui, il reste un mystère pour moi. C’est vrai qu’en cette période de confinement, nous avons tous, que peu de relation avec les autres, mais lui semble vraiment isolé.

Quand je rentre le soir, il est souvent au téléphone, mais dés qu’il me voit, il semble interrompre brusquement la conversation. Un soir j’ai cru l’entendre dire maman. Aussi, quelques jours plus tard je lui demandais s’il avait encore ses parents. Alors il m’a parlé de sa mère confinée en Bretagne avec laquelle il avait d’excellente relation. Elle avait juste soixante-dix ans et était encore en pleine forme. Visiblement il n’avait rien à cacher de ce côté-là. Un soir alors qu’il téléphonait à son fils à San-Francisco. Il m’a parlé très librement de son mariage raté. Mais sa relation avec son ex-femme s’était transformée en grande amitié. Ils se voyaient à chaque vacance et pour l’instant, ils s’inquiétaient, craignant pour l’été prochain. Il me parlait de ça de façon décontractée, sans aucune retenue.

Un soir, j’ai cru comprendre qu’il parlait à un homme. Je me suis demandé si le tract qu’il avait reçu ne disait pas la vérité. Serait-il homosexuel ? Vis-à-vis de moi, il n’y a jamais eu la moindre allusion équivoque, mais cela ne veut rien dire. Quelques jours après l’incident, il m’a dit qu’il avait des amis homos, qu’il les aimait beaucoup mais qu’il était bien content de ne pas être comme ça. Comme je lui demandais pourquoi, il ma simplement dit : “ le problème n’est pas d’être “gay”, mais d’avoir un compagnon qui en vaille la peine.” Ensuite, il a ajouté : “j’ai dû m’occuper de jeunes rejetés par leur famille. J’ai beaucoup appris à leur contact et j’ai, ainsi, mis à mal beaucoup de mes préjugés.” 

Alors que me cachait-il ?

Je l’ai découvert quelques jours plus tard. Je rentrais, en début de soirée, après une garde de 24 heures. J’approchais de la résidence et je l’ai vu pousser un homme dans un fauteuil de roulant. Le garçon semblait jeune et bien portant, mais cloué dans un fauteuil. Je les croisai et je les saluai. Le garçon me répondit avec jovialité. Le juge, lui semblait mal à l’aise, même s’il me fit un signe amical. J’aurais pu continuer à converser. Mais il parut presser de continuer leur promenade.

 

Ce n’est que le soir dans l’appartement qu’il me raconta ce qui était arrivé des mois plus tôt. Un soir de fiesta, il était rentré d’une soirée et même s’il avait très peu bu, il avait renversé un motard et l’avait rendu infirme. Il ne se le pardonnait pas. C’était le garçon que j’avais vu dans l’après-midi et il se croyait obligé de le faire sortir de temps à autre.

Le lendemain à l’hôpital, profitant d’un instant de répit, je cherchais un dossier relatant cet accident. Il m’avait donné le nom du garçon. Je trouvais son adresse et décidai d’aller le voir. Je sonnai à sa porte. Quand il a ouvert, il m’a regardé surpris, mais il m’avait reconnu. Je lui expliquais qui j’étais et finalement ce que le juge m’avait confié. J’ai senti qu’il était ému. Il est d’abord resté silencieux, puis il s’est décidé à parler.

“C’est moi qui avais bu, et qui suis responsable de cet accident. Quand il a commencé à s’occuper de moi, j’étais tellement content d’avoir sa visite que je n’ai rien dit. Je suis “gay” et je suis rapidement tombé amoureux de lui, même si je savais que ce n’était pas réciproque.

Pour ma part, l’amitié a pris le dessus. Sa présence me rend heureux tout simplement.”

Comme je lui disais que le juge était rongé par la culpabilité, il m’a dit qu’il allait arranger ça.

Comme je lui disais que le juge était rongé par la culpabilité, il m’a dit qu’il allait arranger ça.

Je ne vis aucun changement, jusqu’au jour où j’ai avoué au juge les raisons de ma méfiance envers lui, conséquences de mes ennuis de jeunesse. Alors, il m’a pris dans ses bras et ma simplement dit. “J’ai trois vrais amis, toi, Rémi” puis après un instant de silence, il ajouta “ Et Prosper” Puis en éclatant de rire : “et plein de filles”.

Je l’interrogeai sur Rémi. “Mais c’est le garçon au fauteuil roulant, il m’a dit qu’il était saoul le soir de l’accident, et qu’il comprendrait que je ne le fréquente plus. Mais c’est le contraire qui s’est passé, je le vois sans retenue. S’il s’est décidé à me l’avouer c’est à cause d’un toubib.”

Comme je lui demandais si ça ne le gênait qu’il soit “gay”, il me regarda les yeux pleins de malice. Je venais de me trahir. Maintenant il m’appelle Henri et moi je sais enfin qu’il s’appelle Léon-Paul. Il m’a fait promettre de le dire à personne. Ce prénom ridicule l’insupporte. Alors pour moi c’est Léo. 

 

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