A Paris de Bernard DELZONS
A Paris :
Licia et Édouard sont dans le salon de la jeune femme. Il vient de lui raconter une partie de ce qu’il vient de vivre à Faro. Elle est assise devant une table, son portable devant elle, elle tape quelque chose. Le garçon est rêveur il rentre du Portugal où il a rencontré son oncle Kényan. Après toutes les découvertes successives qu’il avait faites les semaines passées, en lisant le manuscrit du frère de sa grand-mère de cœur, il était persuadé que ce garçon était son frère. Jusqu’à ce que la double vérité éclate au grand jour. Ce n’était pas son frère, mais celui de sa mère. Édouard est confortablement assis sur le sofa et caresse Milou la chatte de la maison.
Licia, relève la tête et lui demande :
- Je ne trouve pas le mot pour « raconter des histoires imaginaires », tu peux m’aider ?
Édouard lui jette à la figure, un mot en langue hindi.
- Tu te moques de moi ou quoi ?
- Désolé, je viens de passer un week-end en famille, l’Hindi est notre langue usuelle.
- Ok, mais en français tu as une idée ?
- Je dirais “affabuler”, n’oublies pas, il y a deux “f”
- Tu te fous… Bon merci, c’est exactement le mot qu’il me fallait, je finis et je te fais un café.
- Un café, tu n’aurais pas une bière ?
- Pas d’alcool ici, mais j’ai du sirop de thym. Un délice que fait Mamie.
- Pas d’alcool ? Je ne te crois pas.
- Si, j’ai décidé ça, j’avais un peu trop tendance à finir les bouteilles.
- Ça m’étonne beaucoup moins. Va pour le sirop, il fait tellement chaud.
-
Licia se lève et revient avec un plateau et deux verres. Elle porte une jolie robe, qu’elle a confectionnées avec un des saris que lui avait donné Édouard. Il l’avait lui-même reçu de sa grand-mère de cœur. Si la jeune femme n’avait pas la peau si claire, elle pourrait passer pour une Indienne. Il l’imagine un instant avec le petit point rouge que les Indiens ont sur le front.
Elle s’installe en face de lui et pose une question comme si c’était la suite d’une conversation arrêtée brusquement.
- Il est comment ce Kényan, cheveux ébènes, pantalon bouffant, sorte de babouches aux pieds ?
- Tu me déçois, je ne pensais pas que tu avais tant de préjugés !
- Décris-le-moi, mon chou.
- Je ne suis ni ton chou, ni ton lapin, appelle-moi par mon prénom.
- Mais lequel, le français ou l’indien ? Tu vois, chou c’était plus simple.
- Il me ressemble, je crois, juste un peu plus âgé, cinq ans peut-être.
- Tout à fait mon type, n’est-ce-pas ?
- Il est marié, avec deux enfants.
- Mais pas à Paris.
- Tu es ignoble.
- Allons, je plaisante. Quand est-ce que tu me le présentes ?
- Tu sais, notre histoire est très compliquée, laisse-nous le temps de réaliser. Quand tout cela se sera décanté, je te promets de t’amener avec nous en Inde.
- Vraiment ?
- Vraiment.
- Tu es adorable, Chou.
- Encore… je vais t’appeler “Aussi”
La jeune femme s’appelle Félicie. Quand elle donne son prénom, tous ses amis ne peuvent s’empêcher de ponctuer par “Aussi”.
- Tu m’as dit que tu lui avais parlé de l’île de Ré, pourquoi ?
- C’était le lieu de vacances de ma grand-mère Meera quand elle était enfant, avant la guerre. J’y suis souvent allé avec elle quand c’était moi qui étais enfant. Si tu veux, je t’y emmène. Pourquoi pas le week-end après le départ de Kényan ?
- Je ne veux pas d’une île qui a déjà servi.
Édouard ne répond pas, il a les larmes aux yeux. Licia s’en aperçoit, elle lui demande :
- Qu’est-ce qui t’arrive ?
- Mon appartement…
- Ton appart, je ne comprends pas ?
- Il a déjà servi !
- Tu es trop sensible ;
- C’est ma famille.
- C’était au siècle dernier.
- Tu es…comme une sorcière.
Licia s’est approchée pour le calmer, puis elle reprend :
- Et Camille, comment il prend ça ?
- Je craignais le pire, le premier contact a été glacial, puis Kényan nous a donné les détails sur sa vie à l’orphelinat et sa rencontre avec l’oncle Georges.
- Et alors ?
- C’était plein de poésie. Quand Kényan parle le français, c’est un vrai délice, on se met à rêver. Je voyais Camille dessiner, au fur et à mesure que Kényan parlait ; Camille croquait les scènes comme il les imaginait.
- Et alors ?
- Quand il a vu les dessins, Kényan s’est mis à pleurer.
- Et alors ?
- J’étais complètement angoissé, je craignais de perdre ce parent que je venais de retrouver, ou de perdre mon ami.
- Que s’est-il passé ?
- Camille s’est levé, il a pris mon oncle dans ses bras et l’a consolé tranquillement.
- Tu ne te sentais pas de trop ?
- Toujours le mot gentil !
- Dis-moi ?
- Tu sais, ça n’a duré que quelques instants. Ils m’ont regardé et j’ai compris que nous étions bien une famille.
- Je suis tellement contente, chou. Camille m’a dit qu’il avait lui aussi fait des découvertes. Il t’en a parlé ?
- Je lui laisserai le soin de te raconter quand il sera disposé.
- Vilain canard.
- Il manquait celui-là.
On sonne à la porte, Licia se lève pour répondre. Devant elle, un bel Indien d’une quarantaine d’année les cheveux grisonnants. Il se présente avec un fort bel accent étranger :
- Je suis Kényan le … Il cherche ses mots
- Tonton d’Édouard, n’est-ce pas ?
- Je suis revenu plus tôt que prévu, il n’est pas chez lui
- Chou, la famille vient d’arriver