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Plumes et pinceaux, BMJD
30 janvier 2019

Deux familles décomposées : l’arrivée du nouveau lieutenant de Bernard DELZONS

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Cela faisait deux jours que le lieutenant Médoc était parti. Le capitaine avait fait dire à Farid, par l’intermédiaire de l’infirmier arabe, d’aérer la chambre et de la nettoyer de fond en comble pour qu’elle soit prête quand le nouveau arriverait. Le jeune homme avait fait le maximum pour enlever toute trace de la présence de ce sale type. Il avait lavé le sol, fait le lit avec les draps propres qu’on lui avait donnés. Il avait même dormi la fenêtre ouverte malgré le froid extérieur pour qu’il ne reste aucune odeur du précédent occupant. Bien qu’il soit seul dans la chambre il n’avait pas osé se coucher sur le lit, et pourtant cela lui aurait fait du bien après tous les coups qu’il avait reçus.
En raison de l’arrivée imminente du nouveau, il n’avait pas pu retourner chez lui. Il n’était pas sûr d’en avoir envie car il ne pourrait se confier à personne. Sa mère et ses sœurs lui manquaient, mais il n’avait aucune envie de revoir Kader et encore moins de devoir partager son lit.
Il était soulagé du départ de Médoc, mais inquiet de l’arrivée de cette nouvelle personne qui serait peut-être pire que l’autre. Il avait fini son travail et s’ennuyait : il avait le temps de ruminer ses noires pensées. L’infirmier était en permission, il n’avait personne à qui parler. Le jeune soldat qui l’avait reçu à l’entrée de la caserne le premier jour avait essayé d’échanger quelques mots, mais comme Farid ne comprenait pas, il avait abandonné rapidement. Le jeune ordonnance avait envie de pleurer, mais on ne pleure pas quand on travaille pour l’armée française.
Il était assis dans son coin, quand on frappa à la porte. Sans attendre un beau jeune homme entre dans la pièce. Il est grand, blond et visiblement sportif, en voyant Farid il se présente : je suis le lieutenant De La Madelène, et toi qui es-tu ?
Farid s’est levé ; dès que le lieutenant s’approche de lui, il se protège comme si on allait le battre. Le lieutenant veut lui serrer la main, mais il touche malencontreusement son dos et Farid ne peut s’empêcher de crier. L’officier lui fait alors signe d’enlever sa chemise, mais voyant son hésitation, il le fait lui-même. Il est horrifié de voir les traces des coups de ceinturon qu’on a infligés à ce gamin. Sans attendre il le prend par la main et l’entraine torse nu, directement chez le médecin, cette femme qui a ausculté Farid il y a un mois déjà. Le jeune garçon les entend parler, mais ne comprend pas ce qu’ils disent. La doctoresse l’examine, touche les plaies, lui fait lever les bras, les jambes, puis le fait allonger sur le ventre sur sa table d’examen et lui passe un onguent qui devrait atténuer la douleur. Le lieutenant est toujours là. Enfin on dit au jeune garçon de se rhabiller. Et le médecin lui dit en arable de suivre son nouveau chef. Elle ajoute en s’adressant à De La Madelène : « il ne parle pas Français, il vous faudra de la patience »
Les deux garçons reprennent le chemin vers la chambre du lieutenant, en arrivant celui-ci lui demande où il dort. En réalité il fait des gestes pour lui faire comprendre sa question. Farid lui montre le coin où il était assis quand le l’officier était entré.
« Je m’appelle Félicien et toi ? » après un moment Farid a compris et se nomme à son tour.
Le lieutenant sort de la pièce et revient un peu plus tard avec deux soldats qui portent un lit, qu’il fait installer dans le coin du jeune homme. On monte aussi un petit paravent qui leur permettra d’avoir un peu d’intimité.
Farid ne sait plus où il en est. Il se demande s’il ne rêve pas et s’il n’est pas maintenant au paradis. Mais le lieutenant lui montre ses bagages, le linge à ranger, les draps pour son propre lit. Il doit s’activer. Félicien est sorti, tout doit être impeccable quand il reviendra.
A son retour, le lieutenant a un petit livre dans les mains et avec application il lui dit en arabe, « je m’appelle Félicien et toi tu t’appelles Farid » et il recommence, cette fois en français, il réitère, d’abord en arabe puis à nouveau en Français et lui demande de répéter. Farid est heureux, il comprend vite et s’exécute. C’est le début d’une longue initiation à la langue de l’autre. Le gamin s’autorise même à corriger le lieutenant quand celui-ci fait une erreur dans sa langue. S’il ne connait pas le français Farid parle l’arabe et le kabyle la langue maternelle de sa mère.
Très vite, il sait dire quelques mots et il comprend les ordres simples que lui donne Félicien. Il lui a dit : « dans la chambre tu m’appelles Félicien à l’extérieur ce sera Mon Lieutenant ?».
Contrairement au lieutenant Médoc Félicien est très pudique et ne se montre jamais nu devant le jeune homme. Et Farid attend toujours que la lumière soit éteinte pour se déshabiller. Il ne sait que faire pour répondre aux gentillesses de son chef, toujours calme affable mais néanmoins exigeant. Il prend un ton sévère si Farid oublie de faire quelque chose.
Farid voit aussi régulièrement la femme médecin qui, à chaque visite, examine attentivement la cicatrisation de ses blessures. Elle lui pose beaucoup de question sur sa famille, et petit à petit s’installe entre eux une grande complicité. Mais elle le met en garde contre une trop grande familiarité avec le lieutenant. Elle ajoute un jour « ne te fais pas d’illusion, vous n’êtes du même monde et tu ne deviendras jamais son ami, mais tu as de la chance c’est un garçon bien. » Le visage de Farid devient soudain triste, même s’il est très loin d’avoir compris ses sentiments.

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