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Plumes et pinceaux, BMJD
27 janvier 2019

Deux familles décomposées : Départ pour la caserne de Bernard DELZONS

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Départ pour la caserne.
Ce matin-là, Farid s’est réveillé fatigué, Il avait très peu dormi après la conversation qu’il avait eu la veille avec son frère ainé et son père. Ils avaient décidé de le placer comme ordonnance dans l’armée Française. Il avait bien sûr demandé ce qu’était un ordonnance et Kader avait simplement dit qu’il devrait servir un officier. Il avait hurlé, protesté, et dit qu’il ne voulait pas, qu’il ne parlait ni ne comprenait le français. Il avait supplié son père, mais celui-ci comme toujours sous l’emprise de son fils ainé, n’avait pas voulu l’entendre. Il était allé se réfugier auprès de sa mère. Elle l’avait consolé mais ne pouvait rien contre les décisions des hommes et la famille avait besoin d’argent... C’est le chant du coq qui l’avait réveillé. Il partageait le lit avec son frère qui dormait profondément, il avait une respiration saccadée et de longs ronflements sortaient de sa gorge. Farid l’observa un moment et pensa à l’étouffer avec son coussin. Mais il y pensa au chagrin de sa mère et ses sœurs si on l’envoyait en prison, sans même imaginer leur peine si Kader n’était plus.

Kader devait l’amener dès ce matin-là à la caserne pour le présenter à l’officier au service duquel, il serait. Le jeune homme se leva, quitta la chambre et dans la cuisine, machinalement, il alluma le feu pour préparer le thé. Il sortit une galette de pain d’un tiroir en coupa un morceau qu’il trempa dans une assiette remplie d’huile d’olive, Il s’arrêta un instant en pensant qu’il ne pourrait plus faire ce geste qu’il adorait, et il avala sa tartine. L’eau était maintenant chaude. La porte de la chambre de ses parents s’ouvrit et sa mère entra. Comme chaque matin elle s’était levée pour préparer le déjeuner du père et de son aîné. Farid la regarda venir vers lui. Il comprit qu’elle avait pleuré. Il s’approcha et la prit dans ses bras pour la consoler, mais en même temps il lui en voulait. Il était prêt à exploser, il s’arrêta juste avant de lui dire des mots désagréables. Il retint sa colère, lui essuya ses larmes et pour ne pas penser à ce qui l’attendait, il sortit pour ouvrir le portail aux moutons et aux poules.
Il devrait coucher à la caserne et il ne reviendrait à la maison qu’un dimanche par mois, c’est ce que lui avait dit son frère la veille au soir pendant le dîner.
Quand il retourna dans la pièce à vivre, Kader était là, il parlait de lui avec leur père, mais s’arrêta net en le voyant. Il ajouta simplement « j’espère que tu es prêt. Il faut qu’on y aille le lieutenant t’attend ? » Farid serra les poings mais ne dit rien. Une dernière fois il supplia du regard son père et sa mère, mais il n’y eut personne pour le soutenir. Il ne comprenait pas que son père se laisse manœuvrer par Kader et qu’il ne cherche pas au moins à lui résister un peu. Quant à sa mère, elle n’avait pas droit à la parole : demande-t-on son avis à une femme ? Pourtant ses sœurs s’étaient bagarrées, chacune à leur manière. Et lui pourquoi devait il céder ? Kader était beaucoup plus fort que lui et il n’aurait pas hésité à le battre violemment, alors qu’au moins il n’aurait pas osé toucher aux filles.

Kader était allé chercher l’âne. Déjà installé à califourchon, il fit signe à Farid de s’installer derrière lui. Sans plus attendre, ils partirent pour la ville. Mais comme s’il voulait retarder l’inévitable, l’âne s’arrêta pour déguster un magnifique chardon sur le bord du chemin. Kader se mit à hurler sans succès. Devant le rire de Farid, il se retourna et lui flanqua une bonne tourniole.
Celui-ci sauta à terre et, avec une simple caresse, il fit repartir le bourricot.

Ils ont traversé tout le village avant d’arriver devant la caserne. Farid n’était jamais venu jusque-là. C’était le domaine des Européens. Les murs de la caserne étaient gris et tout lui semblait triste. A l’entrée il y avait une petite cahute et une barrière pour fermer le passage.
Toujours sur leur âne ils continuaient à s’approcher, mais un jeune soldat avec un fusil sur l’épaule, sortit bientôt de la bicoque pour leur dire qu’ils n’avaient pas le droit de rester là.

Kader descendit le premier, suivi par son frère qui fit une caresse à Pinpin, puis il sortit une carotte de sa djellaba qu’il lui donna. Pendant ce temps, Kader expliquait qu’il avait rendez-vous avec le lieutenant Médoc. Le jeune soldat rentra dans son abri pour l’appeler. Quelques minutes après, un grand gaillard mal rasé apparut, et, s’adressant à Kader « c’est ça ton frérot, ne t’en fais pas on va le dresser ce petit con ». Farid ne saisissait pas ce qu’il disait, mais rien qu’à l’aspect du personnage, il comprit qu’il allait en baver. Il était habitué à recevoir des coups de son frère, mais avec celui-là, il craignait le pire. L’ainé remonta sur son âne et sans même regarder son cadet, il s’en alla.

Le lieutenant fit entrer le jeune homme et en guise de bienvenue, il lui donna une taloche sur la tête. Il le conduisit d’abord au bureau des recrutements où il indiqua, lui-même, les renseignements nécessaires pour l’incorporation, puis il le déposa à l’infirmerie pour les examens rituels à tout nouvel arrivant. Là, c’est un arabe qui s’occupa de lui et lui montra ce qu’il devrait faire. Il le pesa, puis on lui fit prendre une douche et devant son effarement il lui expliqua comment faire. Farid ne s’était jamais mis nu devant un étranger, aussi, il ne bougeait pas. L’infirmer lui dit de se dépêcher. S’il n’était pas prêt quand le lieutenant reviendrait, celui-ci le battrait surement. Aussi il se décida à enlever ses vêtements pour passer sous la douche. Une fois lavé on l’amena chez le médecin qui l’examina et lui posa des questions en arabe.
C’était une femme, avec une voix à la fois douce et autoritaire. Il était gêné de se faire ausculter par elle. Il ne comprenait pas. Il était prêt à fondre en larme, mais elle lui parlait gentiment et le mit finalement à l’aise en lui racontant quelques anecdotes amusantes de la vie à la caserne.
Il avait juste fini, quand le lieutenant arriva. L’infirmier lui avait dit que c’était un salaud qui n’aimait pas les arabes, mais aussi, qu’il venait d’être muté, et dans un mois il ne serait plus là.
Farid suivi le lieutenant dans sa chambre. L’officier lui donna des ordres en français que le garçon ne comprit pas. Alors furieux le lieutenant se met à crier puis sans attendre commença à taper. Farid se protégea comme il pouvait. Heureusement des voix dans le couloir retinrent, enfin, le militaire. Il montra du doigt le linge qui trainait par terre et le lit tout en désordre avant de sortir. Grace aux indications de l’infirmer arabe, Farid comprit qu’il devait ranger et laver. Craignant le retour de son chef, il se dépêcha et quand le lieutenant revint tout est en ordre. Médoc sentait l’alcool. Il avait trop bu il se déshabilla devant Farid et se jeta sur le lit et tomba aussitôt dans un profond sommeil.

Farid n’avait pas mangé, il a faim et il n’a pas d’autre choix que celui de se coucher à même le sol et d’essayer de s’endormir. La porte de la chambre s’ouvrit doucement c’était l’infirmier qui s’assura que le lieutenant dormait et il tendit un sac en papier au jeune homme et doucement il lui expliqua où il devrait aller pour manger et lui proposa de l’accompagner le lendemain pour lui montrer. Dans le sac il y avait de quoi manger et boire, mais il devra tout faire disparaitre avant que l’homme ne se réveille. Nu sur le lit, Médoc ronfle et grogne. L’infirmier est reparti.
Farid enfin rassasié, finit par s’endormir malgré la dureté du sol.

 

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